Les sociétés de secours mutuels de la Saint-Vincent
dans les Maranges et les environs

I. Les origines

Au Second Empire, l’Empereur Napoléon III promulgue la loi du 28 mars 1852 pour lancer les Sociétés de Secours Mutuels.
Ces sociétés doivent remplacer les confréries créées par les religieux au seizième siècle et destinées à aider les personnes en difficulté lors d’une maladie ou d’un accident. Celles-ci furent interdites pendant la Révolutions de 1789 puis relancées au début du XIXe siècle.

Les Confréries portent souvent le nom d’un saint, en Bourgogne, nombreuses prennent le nom de Saint Vincent, saint patron des vignerons et qui se fête le 22 janvier.

Ce choix repose sur le jeu de mots, VIN CENT, VIN SANG, le vin et le sang du Christ.

 

1666

La première société connue dans la région est créée à Chassey le Camp en 1666 par Monseigneur Maupeou, évêque de Chalon qui la nomme Confrérie de Saint Vincent. C’est lui également qui approuve les statuts de la Confrérie de Saint Martin créée par les vignerons de Mercurey.

1715

Le règlement de la confrérie est modifié, mais la solidarité entre ses membres se poursuit toujours sous le contrôle des curés de Chassey jusqu’à la Révolution.

 

1783

A Sampigny, nous avons retrouvé l’extrait d’un compte rendu de la Confrérie de Saint Vincent qui date de 1783 :

Cejourd’hui, 19 janvier 1783, nous, confrères de la Confrérie de Saint Vincent, avons fait une assemblée sur la place publique au son de la cloche à laquelle assemblée, ont comparu Pierre Boillot l’ancien et Philibert Barnay, recteur ci devant de ladite confrérie, ont tous nommés pour nouveaux bâtonniers Lazare Lenoble et Pierre Boillot.

1791

Après la Révolution, le décret d’Allarde (2 mars 1791), sur les corporations et la loi Le Chatelier (14 juin 1791) interdisent les associations entre personnes de même métier. Elles peuvent porter atteinte aux libertés individuelles, de plus le gouvernement craint l’organisation de contestations qui menaceraient le régime. Les confréries sont dissoutes.

1806

Une ordonnance du préfet de Police de Paris, encadre les Sociétés de Secours Mutuels : pas plus de 10 personnes, les sociétés doivent se réunir des jours fixés à l’avance, dans des lieux déterminés et sous la surveillance des autorités municipales.
Cette ordonnance n’est pas respectée

1852

Le 28 mars 1852, l’Empereur Louis Napoléon signe la loi sur les Sociétés de Secours Mutuels rédigée par Armand de Melun. Napoléon III est très attaché au développement de ces sociétés qui vont permettre d’assister les travailleurs en difficulté en à la suite d’un accident ou à une maladie. Cette démarche préfigure la Sécurité Sociale qui sera mise en place en 1945 !!

Cheilly-lès-Maranges

A Cheilly, en 1800, une Société de Secours Mutuels de Saint Vincent voit le jour. C’est la première du département. Cette société compte dans son sein les familles les plus honorables de la localité, ainsi que M. le Curé qui en fait partie, son Président est un des hommes les plus religieux. En fait le Président, monsieur Jacqueau Monnot Louis, est également le maire de Cheilly.

« Les principaux associés pour donner une preuve de leur foi au saint qu’ils honorent, ont acheté une statue qui est actuellement à l’Eglise et portée en procession pour le jour de la réunion ».

(Visuel à droite) La bannière porte la date de 1856 qui est celle du dépôt officiel des statuts)

Sampigny-lès-Maranges

Le 22 janvier 1837, 28 vignerons se réunissent en présence du Maire pour déposer les statuts de la nouvelle Confrérie de Saint Vincent.

Le règlement est succinct, il est limité à six articles, mais il est accepté par le préfet d’Autun. Chaque confrère verse un franc pour faire face aux premières dépenses. Les deux bâtonniers sont renouvelés tous les trois ans. Ils sont chargés de la gestion des registres de comptes et doivent les présenter au Maire une fois par an. De plus au moment des vendanges, chacun doit remettre à Monsieur le Maire, 15 litres de vin qui sont vendus au profit de la Société. Tous les ans, le 22 janvier, ils font dire une grande messe et chacun doit y assister en portant un flambeau. En cas de maladie, chacun s’engage à faire l’ouvrage de celui qui se trouve malade. En cas de mort, les confrères continuent de faire son ouvrage jusqu’au moment de la vendange. En cas de décès, tous les confrères assistent à son enterrement et sont tenus de lui faire dire une grande messe pour le repos de son âme. Si un confrère ne respecte le règlement, ou s’il est accusé d’une conduite reprochable, il est rayé de suite et banni de la confrérie.

Le 22 janvier 1848, le citoyen Vivant Boillot, Bâtonnier de la Confrérie de Saint Vincent présente de nouveaux statuts à ses confrères. Ils sont très détaillés (57 articles), et la rédaction est fortement empreinte d’un esprit religieux.

La société se compose spécialement de vignerons probes, laborieux, d’une bonne santé, reconnu de bonne vie et mœurs … et s’étant formellement engagés à la vie régulière du chrétien. Il y aura des associés libres qui porteront le titre de membres honoraires, on offrira ce titre surtout aux personnes les plus influentes du pays par leur position et les plus respectables pour leur charité et leur piété.

Chaque année, le jour de la Saint Vincent, les comptes seront présentés à l’examen de Monsieur le Curé (Président honoraire) et non plus à Monsieur le Maire. Comme il n’y a pas de médecin parmi les vignerons, la société s’en attachera un qu’elle rétribuera et qui sera tenu de visiter les malades sans qu’il ne leur coûte rien et aussi souvent que besoin sera. Quand un des membres sera malade, sa famille après avoir prévenu le Président, appellera le médecin de la Société par écrit ou verbalement, lequel fera un rapport au Chef de section à laquelle le malade appartient afin d’organiser l’assistance.

Dezize-lès-Maranges

A Dezize, une confrérie de Saint Vincent voit le jour en 1839.

Mais il faut attendre le 30 mars 1851 pour la remise officielle des statuts à la préfecture de Saône et Loire. Les vignerons réunis en assemblée générale, convoquée par Monsieur Joseph De Fontenay, Président, approuvent le Règlement de la nouvelle société.

Il y a confrérie ou société entre les propriétaires et les vignerons de Dezize afin de s’aider mutuellement dans leur travail, en cas de maladie ou d’accident. Les conditions d’admission sont exigeantes, il faut avoir une réputation notoire d’honnête homme et de bon travailleur, une intention franche de pratiquer la fraternité dans ce qu’elle a de possible et de vraiment chrétien.

La société que son but moral et religieux rend digne de la protection et de la bienveillance des autorités défère sa présidence honoraire à Mr le Maire et la vice-présidence honoraire à  Monsieur le Curé.
Il n’est pas fait mention d’un médecin qui doit valider l’arrêt de travail d’un associé malade. Le préfet les accepte et ainsi nait la neuvième société du département.

Chassey-le-Camp

A Chassey, en 1858, le Curé du village, Emile Beaujard, rédige les statuts de la Confrérie de Saint Vincent.
Un avis préliminaire rappelle le règlement de l’ancienne confrérie. Il comprend 17 articles, dont beaucoup font référence à la Bible : l’article 1 est rédigé ainsi : Malheur à celui qui est seul ; il tombera, il n’aura personne pour lui tendre une main secourable. La Confrérie de Saint Vincent de Chassey, reconnaissant la vérité de ces paroles de l’auteur de l’Imitation, prend pour devise ces passages de l’Évangile : Aimez-vous les uns les autres (Evangile de Saint Jean), et unissez-vous les uns avec les autres pour vous soutenir mutuellement (Epître de Saint Paul aux Romains).

Une deuxième partie, conforme à la loi du 26 mars 1852, présente 33 articles, qui sont validés par Monseigneur l’Evêque d’Autun le 1er janvier 1859 et approuvés par le Préfet d’Autun le 31 janvier 1860. L’article 1 précise, la société a pour but :

1- De réunir ses membres par les liens de la charité et de la fraternité chrétienne et de les porter tous au bien ;
2- De pourvoir à l‘exécution des travaux des vignes de tous ses membres participants en cas de maladie ou d’accidents graves ;
3 – De procurer à tous ses membres nécessiteux des secours en argent autant que ses ressources le lui permettent ;
4- D’assurer à tous ses membres, en cas de mort, une sépulture honorable et les prières de leurs confrères.

En 1885, les statuts sont modifiés, pour prendre en compte la création d’une Caisse de Pension Viagère de Retraite conformément au décret du 26 avril 1856. La quotité versée à partir de 60 ans doit être supérieure à 30 francs. Ils précisent : le jour de la Saint Vincent, un banquet est organisé, et la présence à la messe est facultative. Le port de l’insigne est obligatoire le lendemain pour la messe des défunts et à chaque inhumation d’un sociétaire. De plus les discussions politiques et religieuses sont interdites.

En 1911, nouvelle mise à jour, mais c’est surtout en 1931 que les modifications sont plus importantes. Tout nouveau sociétaire doit avoir 16 ans (et non plus 18 ans). Les pensions viagères de retraite sont versées à partir de 55 ans (et non 60 ans). Un additif décrit l’acceptation des femmes des sociétaires dans la société : payant la même cotisation, elles jouissent des mêmes droits.

1988

A Sampigny, la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales de la Saône et Loire demande la dissolution de la Société Mutualiste de Saint Vincent des vignerons de Sampigny-lès-Maranges. En effet celle-ci a moins de 30 adhérents (elle en compte 14) et les prestations en nature qu’elle propose aux vignerons en difficulté ne sont plus conformes avec le règlement de cette Direction. Elle lui propose de refondre les statuts conformément au décret du 30 décembre 1986 et de continuer ses activités dans le cadre d’une association.

Son Président, Georges Bœuf répond
« je souhaite que la petite société d’entraide subsiste sur le plan local »
et obtempère à la demande comme l’indique la parution au Journal Officiel de la nouvelle Société.

Le dernier règlement date de 1997, c’est celui-ci qui est actuellement applicable par l’ensemble des sociétés de secours mutuels. Il comprend 29 articles, signé par les membres du bureau de l’époque : Président : Eric Duchemin, Vice président : Gérard Duchemin, Secrétaire : Michel Cas, Trésorier : Jean Louis Duchemin. A noter, l’implication de toute une famille.

 

 

II. La fête patronale de la Saint Vincent à Dezize

Ci-dessous, la description faite par René Jeannin Naltet qui avait recueilli les confidences des sœurs Marie Louis et Madeleine Parent de Dezize :

La fête des vignerons fut toujours dignement célébrée dans le pays. Dès le début du siècle dernier, Mr de Fontenay avait fondé une Société de Secours Mutuel. Les noms des sociétaires étaient inscrits sur un grand tableau dans la chapelle des Hommes et le 22 janvier, ils se rendaient tous à la messe, précédés de leur bannière : les propriétaires en veston et chapeau suivis des simples vignerons en ‘blaude’ et casquette. La première photographie les représente ainsi. Les quatre enfants de chœur qui avaient servi la messe sont assis par terre devant le groupe.

(Visuel à droite : 1892)

Plus tard une seconde société fut aussi fondée : les ‘Rouges’. Chacune avait son banquet particulier et son bal plein d’entrain dans l’un des deux cafés du pays. Les sociétaires allaient chercher leur épouse pour le bal et les reconduisaient à la maison avant la collation qui se prolongeait fort tard, car c’était là qu’ils s’amusaient le mieux. Ceci justifie les absences parfois nombreuses à la messe dite pour les défunts de la Société, le lendemain matin !…

Au cours de la guerre 14 – 18, alors que tous les jeunes sociétaires étaient sur le front, une simple messe marquait le jour.

Puis la fête put reprendre ensuite dans toute sa solennité jusqu’aux tristes années de l’occupation où les sociétaires étaient contraints de se rendre à la messe en simple troupeau sans insigne ni bannière. Il leur fallait passer devant deux soldats allemands venus sur place pour voir si la consigne était bien respectée. Au cours de la messe, les prisonniers et les déportés n’étaient pas oubliés.

(visuel à gauche : 1979 – Messe à Sampigny – Photo Eric Duchemin)

A présent, la Saint-Vincent est célébrée plus solennellement qu’elle ne l’avait jamais été : les cinq sociétés de la vallée se sont regroupées et tour à tour, l’une d’entre elles reçoit dans son église décorée et chauffée pour la cérémonie. Elles se rendent ensemble à la messe dans un magnifique cortège. Sur le parcours, les rues sont ornées de genévriers fleuris de roses en papier. Les enfants costumés en layottes, layots et hottes ouvrent la marche. Les plus petits (et non les moins nombreux) sont portés par leur maman.

Tous les sociétaires défilent, bannière en tête, statue de saint Vincent et brioches portées sur des brancards. Maintenant leurs épouses sont tout naturellement admises au cortège comme au banquet, ce qui autrefois aurait été impensable.

Le cortège est filmé par de nombreux amateurs.

La messe est très solennelle : toute l’assistance prend part aux chants et un prédicateur invité prononce un sermon de circonstance (un magnétophone enregistre la cérémonie).

Au cours des années, cette fête interrompue trois fois en raison des guerres, a toujours repris. Avec les photos souvenir, les jeunes peuvent revoir leurs arrière-grands-pères groupés autour de la bannière.

1892 – 1912 et d’autres plus récentes et que l’insigne soit épinglé sur une ‘blaude’ ou sur une ‘canadienne’ il restera toujours le même.
Tout comme les anciens, les jeunes auront à cœur de perpétuer la vieille tradition Bourguignonne disant :

« Pour que Saint Vincent soit bien honoré,
Il faut boire, il faut chanter, il faut danser »